L’altitude et le froid d’Uyuni ont eu raison de mes défenses immunitaires et c’est donc sans grande surprise que je me suis retrouvée fiévreuse et grelottante en attendant mon bus de nuit pour La Paz.
Etonnamment en revanche, j’ai passé une très bonne nuit dans le bus, mais à mon arrivée au petit matin dans la capitale bolivienne, j’avais l’impression d’être totalement shootée. J’aurais tendance à accuser le sirop acheté à Uyuni, qui me semblait légèrement surdosé et alcoolisé, mais La Paz est aussi connue pour mener la vie dure à ses visiteurs durant leurs premiers jours : à l’altitude élevée (3660m) s’ajoutent des rues en pente et d’innombrables marches dans toute la ville… un vrai chemin de croix quand on arrive dans mon état.
Pour parfaire cette arrivée, l’hostel que je convoitais était plein, et je me suis résolue à me rendre dans l’hôtel le plus proche, recommandé par la réceptionniste.
Et je n’ai pas été déçue !! En plus d’une chambre glauque au possible, je me suis rendue compte que plusieurs chambres du couloir étaient condamnées par la police, ambiance scène de crime… charmant.
Autant dire que je n’avais pas l’intention de m’éterniser, même si j’avais payé ma nuit d’avance. Mais j’étais tellement épuisée et désorientée qu’une seule chose importait à ce moment-là : dormir. Inutile de défaire mon sac puisque je savais que je n’allais pas rester, et quelques minutes plus tard je m’endormais profondément pour 4h d'un ommeil grandement réparateur.
Une fois remise sur pied je suis partie à la recherche d’un hostel libre, et j’ai retrouvé le réconfort des dortoirs. Et oui, on pourrait croire qu’après quasiment un an je ne rêve que d’une chose, retrouver l’intimité d’une chambre qui ne soit pas partagée avec 10 inconnus, et pourtant croyez-moi après cet hôtel affreux, ce dortoir ressemblait à un petit nid douillet et réconfortant !
Comme toujours, cette arrivée quelque peu chaotique a été très vite oubliée et je suis partie à la découverte de la ville :
- ses monuments, encore plus éclatants sous un ciel bleu et pur
- son côté moderne, même si la modernité en Bolivie reste toute relative...
- ses points de vue pour en apprécier la taille tentaculaire mais aussi et surtout tout proche les sommets enneigés de 6000m et plus
- ses collectivos que j’aime tant, que si peu de touristes s’aventurent à prendre et qui pourtant font tout le charme des rencontres furtives avec les locaux
- ses innombrables cireurs de chaussures : sûrement l'un des métiers les plus répandus, et pourtant bien souvent un métier d'appoint en plus d'un autre travail, et qui de ce fait n'est pas totalement assumé (d'où le masque intégral sur le visage)
- ses rues touristiques… on pardonne le nombre d’échoppes car cela apporte de la couleur dans la ville (non pas qu’elle en ait besoin, mais ces vêtements de toutes les couleurs –et surtout les gringos qui les portent !- font aussi le charme de la Bolivie)
- son marché des sorcières, avec fœtus de lamas séchés, utilisés dans les rituels de bénédiction des maisons et des commerces notamment, et autres poudres de perlimpinpin censées guérir tous les maux possibles et imaginables -surtout féminins visiblement-
- pas forcément pire que ce monsieur bien propre sur lui et en blouse blanche qui prétendait diagnostiquer des maladies avec un simple questionnaire au beau milieu d’un marché
- ses marchés donc, et plus particulièrement les marchés un peu à l’écart du circuit touristique et dans lesquels on trouve absolument à tout, à prix « locaux » (vs. « gringos ») : en Bolivie le concept de boutique est quasiment inexistant. Lorsque l’on a besoin de quoi que ce soit, on se rend au marché. Même ce qu’ils appellent « centres commerciaux » sont en fait des marchés couverts avec des stands en dur, regroupés par catégories de produits : fleurs, cosmétiques, vêtements pour bébés, jouets, etc, etc.
- et puis bien sûr les multiples stands de rue… rares sont les portions de trottoirs non utilisées ! Et tout y passe : nourriture bien sûr, mais aussi vêtements ou chapeaux melon
- ses cholitas, ces femmes en tenues traditionnelles, aux longues tresses noires et toujours avec des chargements pas possibles sur le dos
- lorsqu’elles sont de sortie elles portent ce fameux petit chapeau tellement typique
- et elles ont des boutiques (les rares exceptions qui confirment la règle) dédiées à leurs fameuses jupes plissées : de toute les couleurs, de toutes les matières, mais toujours le même modèle, en dessous du genou, of course. D’ailleurs j’étais toute contente ce jour-là, car je suis rentrée dans une de ces boutiques pour discuter avec la vendeuse et lui demander des explications sur ces jupes emblématiques : prix, matières, modèles, etc. Et même si je n’ai pas tout compris c’était top de pouvoir discuter un peu, et le fait que j’essaie de parler en espagnol avait l’air de bien plaire à cette petite dame.
- ses petits monsieurs dans la rue qui tapent à la machine des documents sous la dictée de leurs clients (quand je parlais de modernité toute relative...)
- et ses matchs de catch de cholitas. Oui oui, vous avez bien lu, en anglais dans le texte « cholitas wrestling ». Une manifestation qui me semblait a priori bien étrange, mais dont les locaux sont friands.
Le principe : une homme et une cholita s’affrontent, et la cholita finit immanquablement par prendre le dessus. Imaginez un match de catch à l’américaine, mais avec tous ces détails qui vous rappellent que décidément on est en Bolivie : la musique folklorique totalement décalée, les vendeurs d’ailes de poulet et autres gourmandises -que les spectateurs jettent allègrement sur le ring pour manifester leurs émotions-, les chiens errants et les enfants qui se promènent un peu partout dans l’arène, et les figures exécutées un peu gauchement…
Et surtout comme c’est étrange de voir ces femmes en costume traditionnel soudain à terre avec leur jupe à moitié relevée et leurs tresses en vrac !! Mais les locaux en sont fous, et tous les dimanches après midi cela recommence.
La Paz, pour moi cela a aussi été le point de départ d’une expérience qui me tenait à cœur depuis plus d’un an : faire l’ascension d’un 6000m.
Il se trouve que le sommet Huayna Potosi, tout proche de la Paz, est l’un des 6000m les plus accessibles au monde : déjà parce que l’ascension se fait à partir d’un camp de base à 4700m, et ensuite parce qu’il n’y a quasiment pas de passage technique. Bien sûr crampons et piolet sont de rigueur (neige oblige), tout comme le fait d’être encordé à un guide, mais mis à part l’altitude, et je reviendrai sur ce point épineux, la montée ne présente pas de difficulté particulière.
Cela fait déjà plus d'un mois et demi, et j'ai bien peur d'avoir du mal à retranscrire ce concentré d'émotions et de sensations qu'à constitué pour moi ce défi personnel...
Après avoir choisi l’agence que m’avait vivement recommandée ma copine Steph (qui avait fait l’ascension l’année dernière lors de son tour du monde), j’ai du finir de soigner mon rhume, car le médecin qui a monté cette agence ne voulait pas me laisser partir sans m’avoir prescrit des médicaments supplémentaires et m’avoir revue le lendemain. Plutôt rassurant en soi.
Une fois l’aval du médecin obtenu, j’ai intégré un groupe de six personnes, avec deux autres Français, Ugo et Yvan, un Néo-Zélandais, Jonathan et un couple d’Australiens un peu plus âgés, Steve et Jackie. Dès le premier matin à l’agence ce groupe s’est révélé prometteur : que des gens sympas, bon esprit, bon humour et attentionnés les uns envers les autres. Et en montagne c’est sans doute ce qui compte le plus.
Nous voilà donc partis avec 3 guides, Eduardo, Jesus et Luis, non sans un mélange d’adrénaline et d’appréhension (nous savions que tout le monde ne réussit pas à atteindre le sommet), à l’assaut de cette belle montagne.
En chemin, des beaux point de vue et un émouvant cimetière de mineurs,
et à l’arrivée à 4700m, la bonne surprise de découvrir un refuge tout confort (cheminée, cuisinières, salles de bain avec eau chaude !!), blotti au cœur des montagne et au bord d’un lac émeraude. A peine arrivés, nous étions tous totalement sous le charme.
Première après midi nuageuse, mais cela n’avait pas beaucoup d’importance, car il s’agissait pour nous essentiellement de nous acclimater à l’altitude et de nous familiariser avec l’équipement.
Pour cela, préparation du matériel dans le refuge,
puis une petite heure à peine pour atteindre un glacier à 4900m et nous exercer à la marche avec crampon et au maniement du piolet. Nous savions que nous n’aurions pas à pratiquer l’escalade sur glace, mais faire un peu d’exercice à cette altitude permettait aux guides d’évaluer notre résistance et de nous donner confiance pour la suite de l’aventure.
Après un bon repas et une infusion de feuilles de coca (le fameux maté de coca) au coin du feu, nous nous sommes préparés pour notre première nuit en altitude : opération anti-froid avec deux paires de leggins (le top du sexy) et plusieurs couches de t-shirts et polaires. Contre toute attente nous avons plutôt bien dormi, et le lendemain matin nous avons profité de la vue incroyable et de la petite Julietta (prononcer « Roulietta »), fillette d’une des cuisinières, totalement attachante.
Un dernier déjeuner au refuge… sachant qu’après 24h à cette altitude j’avais déjà perdu quasiment tout appétit… pas bon signe pour la suite, je me suis un peu forcée mais rien ne passait…
Puis nous avons attaqué la montée en direction du high camp, à 5300m !! Une formalité comparé à ce qui nous attendait le lendemain, et pourtant durant ces 4h déjà nous avons pris la mesure des difficultés à venir :
- le froid, la glace puis la neige passés les 5000m,… équipement indispensable
et même enregistrement auprès de deux petites dames, avec leur petit bureau dans une cabane en pierre au beau milieu de la montagne !
- et surtout les effets de l’altitude sur nos organismes ! Chacun réagissait différemment, mais avec le manque d’oxygène le moindre effort devenait difficile, et pour ma part, je commençais à avoir un léger mal de tête, des douleurs d’estomac, la nausée et plus aucun appétit. C’est dire à quel point mon corps réagissait à cet environnement étrange !!
Mais à 17h le sourire était encore là (même si plus pour très longtemps) : pas étonnant avec cette vue
et l’excitation de s’apprêter à dormir pour la première fois de notre vie à 5300m, dans un refuge grand comme une maison de poupée, et bien sûr sans eau courante, à peine un peu d'électricité, et évidemment pas de chauffage.
La nuit fut longue, très longue. Enfin plutôt courte. Très courte.
Arrivés à 17h, les guides nous ont préparé un repas que je n’ai pas touché. Je savais que j’avais besoin d’énergie pour la suite, mais mon corps refusait toute nourriture. Et telle une fontaine Wallace je pleurais, pleurais, pleurais… Oui ça semble étrange mais je pense que c’est une des réactions de mon organisme à l’altitude : une sorte d’hyper sensibilité et de fatigue extrême… car jusqu’alors, même si j’ai la larme facile je le concède, je n’avais jamais éclaté en sanglot à la vue d’une assiette de soupe ! Manger me semblait tout simplement insurmontable, et malgré mes maux d’estomac je me suis forcée à boire un peu de maté de coca, mais le cœur n’y était plus.
Heureusement que mon groupe était top, en même temps tout le monde se sentait assez mal, et entre deux sanglots ils me faisaient retrouver le sourire.
Côté confort c’était plus que rudimentaire : une petite cabane en tôle donc, avec 6 matelas à 1 mètre du sol et des matelas en dessous pour les guides. Un mini coin cuisine dans l’entrée et une table basse. Le froid nous obligeait bien sûr à rester couverts (bonnets et gants compris), dans les sacs de couchage.
Et à 18h extinction des feux… en vue du lever à… minuit et demi !!
Une bien mauvaise nuit donc, les nausées m’empêchant de fermer l’œil, et même si une petite sortie nocturne m’a permis d’admirer un ciel étoilé comparable à ce que j’avais pu voir en Mongolie, avec en prime la majesté des montagnes éclairées par la lune, le « réveil » a été plus que rude.
Chaque mouvement était devenu une épreuve, et je me suis forcée à avaler une demie tartine beurrée, mais cela m’a pris un bon quart d’heure.
A 1h30 du matin, encordés (deux clients par guide), nous avons attaqué la lente ascension des 800m de dénivelé qui nous séparaient du sommet.
Quelle aventure de marcher, doucement, très doucement, un pas devant l’autre, dans la nuit, nos pas éclairés par nos lampes frontales.
Sans aucun doute l’expérience la plus éprouvante de ce voyage, physiquement et mentalement. Pas d’énergie, à bout de souffle en raison du manque d’oxygène… chaque mètre était une épreuve en soi.
Entre 4h et 6h du matin, les pires heures pour moi, je m’endormais litéralement debout, et n’arrivant plus à respirer je m’arrêtais tous les 10 mètres et fondait en larmes en ayant l’impression que je n’y arriverais jamais. Mais la volonté était là, et il n’était pas question que j’abandonne avant d’arriver en haut.
Et je pouvais compter aussi sur mon guide exceptionnel, Luis, qui m’a littéralement menée au sommet. Alors que Jesus me proposait de redescendre avec Jackie qui a rendu les armes vers 5h du matin, à bout de forces, Luis a été confiant en ma capacité à réussir ce défi, malgré mon intolérance à l’altitude (en même temps tout le monde était plus ou moins dans le même cas) et tout au long de l’ascension il m’a motivée, tenue éveillée, m’a forcée à avaler des carreaux de chocolat pour récupérer un peu d’énergie, et il m’a même fait rire pour que j’arrive au sommet avec le sourire et non en larmes. Vraiment, exceptionnel ce Luis. A seulement tout juste 20 ans.
Des 6h30 de ce calvaire, vous ne verrez pas de photo, car je n’ai même pas eu la force d’en prendre. A part celle-ci, totalement floue, qui évidemment ne rend pas du tout justice à ce lever de soleil, qui pourtant m’a apporté tellement de réconfort. Ca signifiait que le jour allait enfin arriver, et que même si c’était dur, on allait l’atteindre ce sommet !
Ah le sommet !...
Si vous vous demandez encore pourquoi se faire autant de mal, et bien c'est tout simple : c'est juste parce qu'après des heures de lutte contre soi même au cours d'une expérience que tout le monde n'a pas la chance de pouvoir vivre, cette satisfaction et ce sentiment d'invincibilité n'ont pas d'égal.
Arrivés parmi les derniers (une trentaine de touristes téméraires ce jour-là) en raison de mon allure d’escargot, nous avons pu apprécier la vue -incroyable au petit jour, même si c’est vraiment le défi contre soi même qui donne toute sa valeur à cette expérience-,
et savourer, enfin, cette victoire personnelle.
La descente a été à l’opposé de ces difficiles heures nocturnes : c’est fou l’effet de l’adrénaline et de l’endorphine !! J’ai pu apprécier ce sommet incroyable, le ciel le plus pur jamais vu, la neige immaculée… le tout en prenant quelques heures de cours particuliers d’espagnol avec Luis ! Après la souffrance de la montée, j’étais intarissable, j’ai passé les 3h de la descente à parler et à m’émerveiller devant cette nature tellement incroyable et devant ce que nous venions d’accomplir…
Et entre le high camp et le base camp, que nous avons rejoint dans la même journée, l’ambiance était beaucoup plus détendue.
Mais quelle longue journée de marche : 6h30 de montée, puis plus de 5h pour redescendre.
Autant dire qu’en rentrant à La Paz à 18h, je me suis effondrée de sommeil et ai dormi d’une traite jusqu’à 7h le lendemain matin !
Heureusement j’étais dans un super hostel, avec les lits les plus confortables de tout mon voyage ! C'est l'avantage des Wildrover et autres "party hostels" en Bolivie et au Pérou, les lits sont incroyables, parce que tout le monde fait la fête la nuit et dort la journée!!
Prochain article : Sorata, Copacabana et Isla del Sol !